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Pourquoi je ne suis pas éducatrice spécialisée

  • lauriecro2002
  • 30 août 2023
  • 4 min de lecture

Au secondaire, j’étais celle qui aimait réconforter les gens, les aider, les soutenir et rire avec eux. J’avais vécu certaines épreuves qui m’apportaient une grande maturité malgré mon jeune âge. J’avais aussi énormément de pratique en gestion de conflits et j’aimais bien la psychologie. La technique en éducation spécialisée m’a donc paru un choix logique pour poursuivre mon cheminement scolaire.



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Spoiler alert, je ne finirai pas éducatrice.


Au Cégep, tous mes cours se sont bien déroulés. Mon premier stage était en milieu communautaire avec des adolescent(es) avec des troubles de comportement et j’adorais ça. Je me suis aussi découverte une passion pour l’animation et j’ai pu en pratiquer un peu.


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Au stage final, en revanche…

C’est bien beau la théorie, mais quand tu arrives devant des vraies personnes en détresse, je dois dire qu’elle semble tout à coup bien loin, la théorie. Tu peux pas mal juste y aller au feeling. Parfois tu te trompes, parfois tu as de bonnes idées, mais il n’y a pas de solution parfaite. Il y a des trucs à ne pas faire, bien évidemment, mais des trucs à faire, des recettes magiques ? Il n’y en a pas. Premièrement, déjà, toute personne est différente, même si deux personnes ont le même diagnostic, elles vont être très différentes. Et toi, ton travail, c’est de décortiquer la vie de la personne afin de choisir avec elle, ses buts et ses objectifs à court, moyen et long terme. Voilà, je viens de très sommairement résumer la profession en une phrase.


Durant mon stage final, j’avais beau suivre les objectifs avec la personne, mais chaque jour était une surprise. Ah, bah tiens, aujourd’hui, il a envie de se suicider, nous allons travailler à le maintenir en vie au lieu de lui apprendre à cuisiner. Nous allons lui donner ses “pilules magiques” ou l’envoyer à l’urgence, pour que l'hôpital nous le renvoie tout aussi mal, mais avec d'autres pilules magiques.


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Commencez-vous à sentir les problèmes arriver? Peut-être pas. Je continue.

J’ai vu une intervenante en congé car elle s’était fait frapper par un usager. Plus de la moitié des éducateurs spécialisés que je connaissais étaient en arrêt maladie pour un burn-out (il y a de quoi faire un burn-out, quand, juste pour faire le minimum, tu pars à 5h45 du travail au lieu d’à 4h30 à tous les jours).


J’ai vu une intervenante débordée botcher ses plans d’intervention et ses relations avec nos clients. J’ai vu ses patrons la soutenir dans ses incohérences, se disant qu’elle doit bien savoir faire sa job, vu qu’elle a un diplôme. Nous, les intervenants au communautaire, qui passent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 avec nos clients (presque patients, rendu-là), nous avons rarement notre mot à dire.


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Le problème, c’est que ce n’est pas écrit à nulle part quand tu botches une relation humaine. Tu commets une erreur sur ton test de maths, tu vas perdre des points, mais là, quand tu es seule avec un client dans une pièce, il n’y a personne qui va venir te chicaner si tu soupires dans sa face ou dis n’importe quoi. Il y a des collègues qui vont parler dans ton dos, mais en vain, parce que on ne te mettra jamais à la porte, ils ont bien trop besoin d’éducateurs. Finalement, c’est juste le client qui va souffrir de ton incompétence. C’est pareil partout, c’est le petit peuple qui souffre des décisions du monde d’en haut. Classique de société.



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Je ne veux pas faire plus de mal que de bien. Alors, lors de mon évaluation de mi-stage, ma professeure m’annonce qu’elle doit mettre fin à mon stage, car j’ai trop raté de journées de stage, ayant eu la covid longue, je prends mentalement la décision de m’éloigner du milieu. La prof m’a pourtant bien dit et répété que j’avais tous les atouts et les qualités pour être éducatrice spécialisée.


Je suis rentrée dans mes études naïve, pensant qu’on pouvait vraiment faire une différence dans la vie des gens, mais ma conclusion, finalement, c’est que c’est extrêmement difficile de le faire, car on ne nous en donne pas les moyens. Fière chandelle aux éducateurs actuels, mais j’ai décidé de me choisir moi et mon intégrité plutôt que de sacrifier ma vie pour les autres. Je ne me jetterai pas en bas du pont, même si tous les autres gens de ma cohorte l’ont fait, par passion.


Aujourd’hui, j’ai un emploi dans un autre domaine et mes anciens profs pensent me revoir probablement l’hiver prochain. Ils n’ont aucune idée à quel point je n’ai aucune envie de revenir. Et à quel point je ne reviendrai pas. Le système de santé souffre, tous les médias en parlent, mais les services sociaux sont tout autant fragiles et franchement, tristes à voir.


En tout cas, juste assez pour que je me fâche et que je n’aie plus envie d’aider les gens de la façon dont je pensais pouvoir le faire.


Vous en avez perdue une, et vous en perdrez d’autres, même si vous les payez 1500$ par session pour étudier et que vous leur donnez une petite bourse pour avoir travaillé gratuitement en stage à la fin de leur parcours.


Je ne regrette pas mes études, car j’ai pu apprendre plusieurs trucs super intéressants et je peux les appliquer dans ma vie personnelle.


Ce que je regrette, par contre, c’est de ne pas pouvoir me battre contre ce système, cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.


Vous m’avez perdue, et vous en perdrez d’autres.

Laurie Croteau, pas éducatrice spécialisée






 
 
 

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